Lettre de Ventron (Vosges) de Maurice Brès du 23 novembre 1914. (document PDF Lou Brès P19)

 Après les champs de carnage de Lorraine, nous nous sommes avancés en Alsace, jusqu'à Thann. Les batteries alpines peuvent être ici de quelque utilité tandis qu'en Lorraine, Paul peut s'en rendre  compte, leur emploi était une folie. Depuis, nous avons été contraints par une épidémie de chevaux de nous retirer à Ventron, 15 km en arrière des lignes... et la neige va peut-être nous bloquer là. J'ai honte. Oui honte, parce que matériellement je suis trop bien. Hier je ne m'étais pas couché, ayant été faire une patrouille. Aussi ce matin, me suis-je levé à 9h 1/2 et mon aide (un excellent garçon qui se lève la nuit pour voir si mon cheval n'est pas malade) m'a apporté mon chocolat au lit !!! J'ai une excellente chambre ... le bois ne coûte que la peine d'aller le chercher et j'ai pour ça autant de chevaux et d'hommes que j'en veux, aussi, on fait bon feu. Ce dont je ne puis prendre mon parti, c'est de la guerre elle-même, et ce m'est une immense joie de voir que nos pensées sont les mêmes à nous tous. Vony... La gloire de ceux qu'on décore, qu'on cite à l'ordre du jour a été achetée en faisant des charognes pourrissant sans même une tombe ..., d'êtres qui ont laissé des Vony, des Mich, des Simone. Comme Paul, j'ai voulu m'imprégner pour toujours de la vision d'horreur... Et les premiers que j'ai vus (je les vois encore), depuis 4 jours pourrissaient pêle-mêle au coin d'un bois, et, arrangement qui semble prémédité : à côté d'un petit Breton sur qui nous trouvâmes une lettre de sa fiancée, un Bavarois âgé déjà et avec au doigt l'alliance... serrait dans sa main déjà noire une photo... une femme et deux bébés !!! Et cette tranchée vers Valois où nous en comptâmes 150 empilés les uns sur les autres... Je sais qu'il faut maintenant vaincre et que ceux qui voudraient une paix anticipée seraient des insensés car il faut que de cette horreur sorte une garantie pour toujours... mais... pleurons. Ces jours-ci... la manchette des journaux portait : « bonne journée, hécatombe dans le Nord». Oh ! Maudites soient à jamais les heures où une hécatombe d'hommes a pu être pour d'autres hommes une bonne nouvelle.