Après
les champs de carnage de Lorraine, nous nous sommes avancés en
Alsace, jusqu'à Thann. Les batteries alpines peuvent être ici de
quelque utilité tandis qu'en Lorraine, Paul peut s'en rendre
compte, leur
emploi était une folie. Depuis, nous avons été contraints par une
épidémie de chevaux de nous retirer à Ventron, 15 km en arrière des
lignes... et la neige
va peut-être nous bloquer là. J'ai honte. Oui honte, parce que
matériellement je suis trop bien. Hier je ne m'étais pas couché, ayant
été faire une
patrouille. Aussi ce matin, me suis-je levé à 9h 1/2 et mon aide (un
excellent garçon qui se lève la nuit pour voir si mon cheval n'est pas
malade) m'a apporté
mon chocolat au lit !!! J'ai une excellente chambre ... le bois ne
coûte que la peine d'aller le chercher et j'ai pour ça autant de
chevaux et d'hommes que
j'en veux, aussi, on fait bon feu. Ce dont je ne puis prendre mon
parti, c'est de la guerre elle-même, et ce m'est une immense joie de
voir que nos
pensées sont les mêmes à nous tous. Vony... La gloire de ceux qu'on
décore, qu'on cite à l'ordre du jour a été achetée en faisant des
charognes
pourrissant sans même une tombe ..., d'êtres qui ont laissé des Vony,
des Mich, des Simone. Comme Paul, j'ai voulu m'imprégner pour toujours
de la vision
d'horreur... Et les premiers que j'ai vus (je les vois encore), depuis
4 jours pourrissaient pêle-mêle au coin d'un bois, et, arrangement qui
semble
prémédité : à côté d'un petit Breton sur qui nous trouvâmes une lettre
de sa fiancée, un Bavarois âgé déjà et avec au doigt l'alliance...
serrait dans sa
main déjà noire une photo... une femme et deux bébés !!! Et cette
tranchée vers Valois où nous en comptâmes 150 empilés les uns sur les
autres... Je sais
qu'il faut maintenant vaincre et que ceux qui voudraient une paix
anticipée seraient des insensés car il faut que de cette horreur sorte
une garantie pour
toujours... mais... pleurons. Ces jours-ci... la manchette des journaux
portait : « bonne journée, hécatombe dans le Nord». Oh ! Maudites
soient à
jamais les heures où une hécatombe d'hommes a pu être pour d'autres
hommes une bonne nouvelle.
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