Les Harkis, ces
oubliés de l’Histoire
d'après l'article
de José
CASTANO 1O ctobre 2016
Héros pour
les uns, traîtres pour les autres, l’histoire des harkis est mal connue
des Français. Dans le langage courant, on désigne aujourd’hui sous le
nom de harkis toutes les catégories de supplétifs de la
guerre d’Algérie : harkis, moghaznis, Groupes Mobiles de Sécurité,
Groupes d’autodéfense, unités territoriales et auxiliaires de la
gendarmerie, à l’exclusion des appelés et des militaires sous contrat.
C’est en
janvier 1955 que, pour les besoins de guerre d’Algérie, virent le jour
les premières unités musulmanes.
A partir
de 1957, las de la tyrannie du FLN qui multiplie les sévices à
l’encontre des populations autochtones du bled : enlèvements, rançons,
égorgements, razzias sur les douars,
sévices multiples et raffinés, les habitants vont se soulever et
rejoindre en masse l’armée française.
En
décembre 1958, à l’initiative du général Challe, le nombre des harkis
passera de 28 000 à 60 000. Ils formeront d’efficaces groupes de combat
œuvrant au plus près des soldats d’élite, paras, légionnaires et
commandos.
En 1959, 6
000 d’entre eux seront affectés dans les Commandos de Chasse créés dans
chaque Secteur pour éliminer les rebelles qui ont échappé aux
opérations du Plan Challe. Par ailleurs, 2000 douars représentant 55
000 hommes armés, seront placés en autodéfense, soit un total de 223
000 soldats autochtones qui combattront sous l’uniforme français avec
une efficacité et une ardeur reconnues de tous…
Fin 1958,
la guerre est pratiquement terminée sur le terrain. Le FLN, exsangue,
ne se maintient plus que par ses attentats sournois et barbares. R.
MADAOUI, alors officier de l’Armée de Libération Nationale (ALN),
rejoindra, comme sous-lieutenant, une unité régulière de l’armée
française dans l’Ouarsenis puis, plus tard, les rangs de l’OAS. Il
écrira :
« L’espoir
est si grand que la Wilaya IV (la sienne) pavoise aux
couleurs de la France, que les rebelles cessent les attentats et
déposent leurs armes devant les mairies ». Ainsi, les fellaghas,
eux-mêmes, sûrs de leur impuissance, brandissent des drapeaux français
dans leurs repaires…
L’ex-officier
de l’ALN, Ali BOUZIANE, qui rejoindra les harkis du fameux « Commando
Georges », unité créée par le Colonel BIGEARD, écrira sur ce
point : « La population, qui était notre raison de combattre et
notre soutien, nous abandonne. J’ai confiance en De Gaulle, et mes
frères dans le maquis aussi. Nous avons été trompés, et l’Algérie
heureuse, nous la ferons avec lui ».
De Gaulle,
désormais installé à l’Elysée, reçoit le Bachaga
BOUALAM qui lui dit : « Mon général, donnez-moi 500 000
harkis, et vous pouvez renvoyer tous les appelés chez eux ; je vous
garde l’Algérie à la France. » De Gaulle ne répondra mot et,
contre toute attente, se prononcera pour l’intégration,
solution utopique à laquelle ni les Musulmans, ni les Européens, ni les
militaires, ne croient.
Le 19
janvier 1960, recevant exceptionnellement les élus d’Algérie, de Gaulle
les sidéra en déclarant avec une certaine hauteur : « L’intégration
est une connerie, d’ailleurs, l’armée ne fait que des conneries !
» Et, toisant insolemment le député musulman M’hamed Laradji, il ajouta
avec un mépris glacial : « Les Musulmans ne seront jamais
des Français ! ».
Laradji
qui eut dix membres de sa famille assassinés par le FLN soutint le
cynisme de de Gaulle en insistant sur le fait que la politique menée
par le Chef de l’Etat allait faire souffrir les Algériens pro-français…
ce à quoi, la « grandeur gaullienne » répondit sèchement : « Eh
bien, vous souffrirez ! ».
Le 10 juin
1960, le colonel de l’ALN, SI SALAH, chef de la wilaya IV
(Algérois), décide de faire un putsch contre le GPRA et, reçu
avec ses adjoints, les commandants Si Mohamed et Lakhdar à l’Elysée par
De Gaulle, ils lui annoncent la reddition dans un premier temps des
trois quarts des combattants de l’ALN. Mais De Gaulle, ne voulant déjà
plus entendre parler de l’Algérie française, leur opposera une fin de
non recevoir et ses services, par la voix d’Edmond Michelet,
informeront le Ministre des Affaires extérieures du GPRA, Krim
Belkacem, de cette proposition de reddition. Commencera alors une purge
sanglante au sein de leurs partisans qui ne connaîtront aucune clémence
de la part des « frères » installés en Tunisie. Le secret de
cette entrevue avec le Maître de l’Elysée devant être rigoureusement
gardé, tout sera mis en œuvre pour éliminer définitivement les derniers
témoins et Si Salah et Si Mohamed seront tués par les troupes
françaises dans des conditions plus que curieuses…
Dès lors,
cette affaire qui se présentait comme une immense occasion pour
apporter une paix française à la guerre d’Algérie, se terminera dans le
sang et demeurera la grande énigme de ce conflit.
Après
l’échec du putsch d’avril 1961, les harkis, soucieux, désemparés et
amers, répèteront inlassablement à leurs chefs : « Il fallait
déclarer la mobilisation générale en Algérie, faire une levée en masse
de harkis, renvoyer tous les appelés chez eux, et on avait le monde
entier avec nous. »
Mai 1961,
nouvelle décision désastreuse du général président qui atterrera les
Musulmans fidèles à la France : La trêve unilatérale
accompagnée de la libération de 6000 fellaghas. Dès lors, l’ALN
exsangue, forte de ces renforts successifs, va se reconstituer et
reprendre de plus belle ses actions meurtrières sans réelle opposition
des troupes françaises, privées par ailleurs d’une partie de leurs
unités d’élite dissoutes au lendemain de l’échec du putsch. A partir de
ce moment, les supplétifs comprendront que, pour eux, c’est la fin… et
les premières désertions verront le jour. (Cf. Massacre d'Européens et Harkis)
Cependant,
avec une inconscience révoltante, les déclarations officielles
continuaient de pleuvoir. Dans une homélie fracassante, le général
Gambiez s’écriait à l’adresse des harkis : «Vous avez mené le bon
combat. Soyez sans crainte, la France ne vous abandonnera pas ! »
Et dans une déclaration aux cadres, Pierre Messmer, le ministre des
armées, affirmait avec solennité : « Pour rassurer ceux qui
combattent et se sont engagés à nos côtés, nous devons leur répéter la
volonté de la France de n’abandonner aucun de ses enfants. »… Cela
s’adressait aux Musulmans servant sous l’uniforme français.
Pourtant
le dégagement militaire avait commencé depuis le mois de juin 1961 par
le rapatriement de deux premières divisions et l’évacuation de 1000
postes de protection de la population du bled. Mais afin de rassurer
les consciences, on continuait d’assurer avec une apparente conviction
qu’en aucun cas la population civile n’aurait à souffrir de ces mesures
ou à voir sa sécurité
diminuer…
Quel
leurre !... Pauvres Musulmans ! Vous avez accepté de servir dans les
groupes d’autodéfense ou les unités combattantes, vous êtes devenus des
harkis, c’est-à-dire, soldats de la France : vous serez égorgés, tués à
la hache, ébouillantés, coupés en morceaux ; vous aurez les yeux
crevés, les mains coupées, vous serez traînés dans les rues sous les
huées d’une foule déchaînée et vous périrez après d’horribles tortures !
Ah !
Quelle déchéance et quelle souffrance de mourir ainsi en sachant
combien cette France qu’ils avaient tant aimée était veule, combien
elle était lâche devant la fourberie, la trahison et le despotisme…
Ce fut
l’un des grands mensonges de ce drame algérien qui en avait vu tant,
mais d’autant plus odieux qu’il couvrait l’abandon et la mort
d’innombrables Musulmans livrés à la vengeance du FLN.
Mais
qui aurait pu
penser, en Métropole, que depuis sept ans des soldats Musulmans
pourchassaient sans répit les fellaghas, que depuis sept ans ils
mouraient pour la France et l’Algérie française… et que depuis des mois
on cherchait à faire oublier – comme jadis en Indochine- leur existence
?
Mais
comment cacher qu’en nombre croissant, ces Musulmans fidèles
rejoignaient les combattants de la cause française… c'est-à-dire, l’OAS
?
Si les
sphères dirigeantes ne savaient plus comment cacher cette nouvelle
situation, le GPRA n’ignorait pas qu’il ne pourrait leur imposer son
autorité que si auparavant, l’armée française les avait désarmés.
Du coup,
l’Elysée prit peur. Il fallait à tout prix désarmer ces hommes trop
zélés qui s’imaginaient encore pouvoir rester français…
Et ce fut,
alors, l’ignoble campagne de désarmement, la conclusion du pacte tacite
entre le Pouvoir et le FLN…
Après avoir évacué les postes militaires du bled et les avoir remis,
intacts, aux ennemis d’hier, la troupe reçut l’ordre de désarmer
les autodéfenses. Pour ces pauvres gens qui avaient eu confiance en la
parole de la France et en ses officiers, la restitution des armes
signifiait la mort à plus ou moins brève échéance…
Sans
doute, que les militaires avaient reçu des ordres stricts. Sans doute,
ils se devaient d’obéir à ces ordres. Mais le serment de jadis de
conserver l’Algérie à la France et de protéger cette population
n’avait-il pas été également prononcé ?
Le vieil
honneur qui vous lie à une parole est-il une chaîne dont il est
loisible de couper les anneaux ? La vie est bien longue à celui que
trouble le remords…
Dès lors,
désarmés, livrés sans défense à la vindicte du vainqueur, le
génocide des harkis commençait…
Et dans
toute l’Algérie on fusilla après avoir torturé, on mura dans des
bâtisses de pierres, on enterra vivants, on brûla sur des bûchers, on
flagella, on égorgea, on roua de coups des victimes enfermées dans des
sacs, membres liés.
Dans le
Nord-Constantinois, des femmes tuèrent même des captifs à coups de
dents !…
Dans le
bled où le drapeau vert et blanc remplaçait désormais le tricolore, les
Musulmans qui avaient toujours été fidèles à la France s’accrochaient
désespérément aux camions militaires français et, à bout de force,
tombaient en pleurant dans la poussière de la route. Ce sont des images
que seuls ceux qui ont une conscience ne pourront de si tôt oublier…
Et
l’horreur de la situation devint telle que le Lieutenant de Vaisseau
Cucherat rejoignit les rangs de l’OAS et résuma dans un cri
d’indignation à l’adresse des officiers français toute cette tragédie :
« Il n’y a
pas en ce monde d’expiation qui puisse ressusciter les harkis
ébouillantés, effacer les mutilations des suppliciés… réparer le
suicide des pères désespérés, ou guérir les vieillards conduits à la
folie par votre traîtrise et votre lâcheté. Il n’y a pas de drogue qui
puisse endormir en vous cette honte et ce remords qui vous empêcheront
de plus regarder jamais dans les yeux, à supposer qu’ils vivent encore,
le chef de votre ancienne harka, ou le maire de votre regroupement, et
tous ceux qui avaient cru en votre parole, s’étaient engagés derrière
vous et à qui vous avez menti… »
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