Témoignages rapportés et/ou vécus par Marcel ALLAIN

1943 ET 1944 - LES ANNEES TERRIBLES  : semaine tragique du 22 au 28 août 1944

Voir aussi document des Aciens Combattants de Sauzet cliquez ici ainsi que l'exposé de Pierre Balliot cliquez ici

    Les temps sont de plus en plus durs. En ville, les gens ont faim. Certains citadins viennent chercher de l'aide à la campagne et implorent les paysans : un lapin, une poule, des œufs, ... mais nous sommes très limités, bien souvent nous ne pouvons rien donner. Sauzet a eu la chance de ne pas avoir de miliciens, de dénonciateurs dans sa communauté, mais malgré tout, on n'en était pas bien loin !.
Voici quelques épisodes : nous avions à l'époque un médecin à Sauzet, le docteur MAX, d'origine juive, qui habitait la grande villa en face de l'ancienne pharmacie. Se sentant traqué comme l'ensemble de la population juive, il avait mis sa famille en sécurité ailleurs. Il prenait ses repas à l'hôtel Michel. Un soir, un client entre et dit : « la Gestapo opère chez le docteur ». Un témoin, Marcel GAMET, entend qu'on cherche aussi Louis CARRE, et il s'en va, sans se faire remarquer, pour avertir Louis, qu'il a vu se rendre avec sa femme chez une amie dont le bébé était décédé. Pendant ce temps, le docteur a enjambé une fenêtre qui donne dans la rue et a disparu, juste à temps avant l'arrivée de la Gestapo à l'hôtel. Ces hommes de main désirent obtenir des renseignements sur le docteur. Madame MICHEL ne se laisse pas intimider et rétorque qu'elle ne l'a pas vu. Heureusement, tout s'est bien passé. Il s'est éclipsé par l'école et a disparu dans la nature.

    La Gestapo arrive chez les CARRE. La fille, Lucette, est obligée de les conduire au domicile de la famille endeuillée (Roger FOURNET). En entendant le bruit des pas dans la rue, Louis se sauve par une fenêtre de derrière. Pour une fois, chose extraordinaire, la Gestapo n'avait pas cerné la maison. Louis se réfugie chez le boulanger RIBES avant de s'éclipser. Toutefois, son ouvrier qui se cachait chez lui pour échapper au S.T.O. est interpellé par la Gestapo: dans son affolement, il se trompe dans ces papiers d'identité et présente les vrais et les faux, ce qui lui est fatal. Il est mort en déportation.


  A peu près à la même époque, les Juifs étant persécutés, Monsieur ISAAC change souvent de logement pour ne pas être repéré. Après avoir habité dans la ferme Décez-Bossu, au mois de juin il est venu habiter à Micolline près de chez nous où vécut longtemps Monsieur BERTRAND, ami de notre famille, Résistant, qui se trouva au plus fort des combats notamment à Sauzet et à Grâne où il fut grièvement blessé. Monsieur ISAAC, avec qui nous avons sympathisé, était marchand de bestiaux, mais il ne pouvait pas exercer son métier ici car il était toujours sur le qui-vive.

    Nous avons passé des veillées ensemble ; dès que les chiens aboyaient, il sortait pour voir si quelqu'un ne venait pas l'arrêter. Il avait 2 enfants de 10 et 12 ans et une servante. Il participait aux actions du Maquis (?), il fréquentait la maison Savoy-Perrier et toutes les personnes de confiance qui étaient des relais pour les maquisards comme Abel LAFOND et Georges CHAPUS.

    La famille SAVOY-PERRIER était surveillée elle aussi et a eu très chaud .... Un soir, la sœur de monsieur SAVOY se rend chez son fière. Il faisait nuit depuis une heure et dans cette obscurité, elle bute sur un homme placé à 10 mètres environ de la maison. Il espionnait sans doute ... Imaginez sa frayeur !.

    De ce fait, Monsieur ISAAC se sentant à son tour surveillé, quitte Micolline pour aller chez Monsieur CHAPUS à Saint Marcel,  pensant sans doute être plus en sécurité. Mais voilà, un jour de printemps, la Gestapo fait irruption à la ferme Chapus et il se produit un coup de théâtre pas ordinaire : Monsieur ISAAC qui parle couramment allemand s'explique donc avec ces messieurs. Il les soudoie en leur donnant une somme d'argent très importante (il peut le faire car il était riche). Une partie de sa fortune était cachée dans la maison Savoy et une autre partie sur lui car il savait que la Gestapo était composée de truands qui aimaient beaucoup l'argent. Cette aventure s'est déroulée un après-midi. Le grand-père CHAPUS a amadoué ces messieurs de la Police en disant : «  goûtez avec nous, mangez la saucisse». Après cela, ils laissent ces braves gens tranquilles et n'exigent rien de plus. Ils partent sans se douter qu'un objet très «compromettant était caché derrière une porte : un parachute .... Cette journée fut éprouvante pour la famille CHAPUS et Monsieur ISAAC, mais tous sauvèrent leur vie. Emile, le plus jeune fils CHAPUS se sauve et se réfugie dans la maison Savoy pour la nuit. Quant à Monsieur ISAAC, il est allé se cacher chez le curé de Sait-Martin le Supérieur (en Ardèche).

 Le 19 et le 20 août, des éléments avancés (3 ou 4 chars avec quelques Jeeps) arrivent à Sauzet. C'est une grande joie, presque la fête. Mon père est descendu au village, il en remonte soucieux car il a rencontré un ami de la plaine, un ancien comme lui de la lère Guerre Mondiale qui lui dit : « Gare, les Allemands ne sont pas loin, j'ai bien peur que ce ne soit pas encore fini ».

Les chars ont pris position : un sur la route de La Coucourde à hauteur de la maison Mercier, l'autre sur la route de Montélimar, à hauteur de la première maison à gauche en entrant au village.

Une section de fantassins américains vient prendre position à hauteur du col de Gentil (route de La Coucourde). Ils sont guidés par Roger JACQUIER, dit Pampan.

    Ils mettent des batteries de mortier en position. Ils devront se retirer dans les jours suivants en abandonnant des munitions. (Quelques semaines plus tard, des gamins réfugiés s'amusent à les faire exploser. Le jeune Michel PERRIER, âgé de 5 ans est blessé par les éclats. Il a toujours des traces dans les jambes mais les conséquences auraient pu être pires !).

 Dans la nuit du 21 au 22 août, les Allemands attaquent à 4 heures 30 du matin.

    Les chars arrivent vers le village par l'Est (en venant de Roubion). La sentinelle du maquis qui était de garde fait les sommations mais le mot de passe a été trahi. C'était «France - Amérique». La sentinelle a-t-elle été tuée ?,  je ne le sais pas. NDLR cette version des faits n'est pas vérifiée. Se reporter à l'exposé de Pierre Balliot
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Juste après le pont de Roubion, un char se détache du groupe et traverse le quartier des Tautes, le parc du château Sestier, et vient prendre position à hauteur du garage Chaix sur la route de Cléon. Trois sentinelles F.F.I. (Mouvement des Forces Françaises de l'Intérieur) postées là (entre Cargill et Chaix) viennent au devant de ce tank qu'ils croient américain. A 50 mètres, l'un d'eux parlemente « Camarade, américain, maquis » et c'est la mitrailleuse du blindé qui lui répond. Heureusement, les trois jeunes sautent dans un champ de maïs qui leur sauve la vie. Ces jeunes étaient de Valréas, j'ai connu leur aventure il y a une dizaine d'années par hasard.

    Dans le village pendant ce temps, les choses ne se passent pas aussi bien : les chars qui pénètrent dans le village par le sud passent bien entendu devant l'écurie de la maison Sibourg-Roux où dormaient 30 à 40 résistants F.F.I.. Le portail était fermé, de ce fait les allemands ne les voient pas. Malheureusement, deux pauvres gars qui dormaient dehors sur les fagots du boulanger sont tués à bout portant. Monsieur DESFUDES, le boulanger a vu cette scène derrière ses volets. Après le départ des Allemands, il prendra le risque de ramasser une poignée de terre imprégnée du sang de ces malheureux, l'enveloppera dans leur mouchoir pour la remettre à leurs familles après les évènements. Ces familles l'ont très chaleureusement remercié pour son geste. Un de ces résistants est inhumé à Sauzet où il repose toujours; c'est la tombe PILEZER.

    Un autre jeune homme, Paul BARNIER, s'est fait descendre sur la place, à l'angle de la maison qui est de nos jours une auto-école (route de La Coucourde). Mourant, il crie « Français, au secours, Français, au secours ». Un officier allemand l'a achevé d'une balle de revolver et un char, en se repliant, lui a passé sur les jambes. Emile, le fils de l'Hôtel Michel a été le témoin de cette scène au petit jour depuis sa chambre, à 5 ou 6 mètres.

    La famille MICHEL et la famille MOUTET fuient le village vers la ferme de mes parents, c'est Emile qui m'a raconté ce qui venait de se passer. Un autre maquisard, le jeune Pierre BONNET, de La Répara, a été tué à proximité du lavoir, chemin des Boules. Il n'aurait pas dû partir dans cette action car il était blessé au talon. Il avait de sérieuses difficultés à marcher. Son Capitaine du Maquis l'oblige pourtant à suivre le groupe. Cet excès de zèle coûta la vie à ce jeune homme, marié depuis 6 mois et futur père de famille.

    Il y a 3 ans, j'ai moi même rendu possible la première rencontre entre ce fils et une jeune fille secouriste qui se trouvait là et qui avait fermé les yeux du mort. Il s'agit de Madame CONIL, aujourd'hui institutrice à la retraite. Quatre autres F.F.I, sont morts à Sauzet mais je ne connais pas exactement les circonstances. Les pauvres F.F.I, venaient de faire le baptême du feu. Ils se sont repliés au nord du village, ils étaient choqués et ils demandaient la direction du Ventoux. L'un d'eux m'a dit : « Regarde, ça m'a passé près». En effet, une balle avait percé la crosse de son fusil pendant qu'il tirait et il avait un bleu à la joue.

    Pendant la fusillade, le grand-père URDY, un vieil habitant de la première maison de la rue du Chemin de Ronde se met à la fenêtre avec sa femme. Celle-ci voit tout de suite le danger et le tire en arrière au moment où une balle atteint l'encadrement de la fenêtre. Ils ont eu chaud. Un éclat de la pierre de taille a été arraché.

Pendant ces attaques, un char allemand voit le char américain posté sur la route de Montélimar, qui lui tourne le dos. Il le fait exploser à bout portant. Un platane en garde le souvenir, on peut encore le voir aujourd'hui. Heureusement, les 2 artilleurs étaient en train de manger des poires dans le verger d'Emile CHATELAN (derrière le premier mur à droite en montant au village). De temps en temps, la chance sourit aux voleurs de poires. Avec ces deux soldats, il y avait aussi un F.F.I, originaire de Russie, nommé MARTINOFF. Il se cachait dans une ferme de La Laupie et s'était engagé pour la durée de la guerre. Il sera tué plus tard en Indochine.
Le char américain posté sur la route de La Coucourde n'a pas été repéré et il n'est pas intervenu. Les chars allemands se replient tous vers La Bâtie. L'un d'eux est pris en chasse par l'artillerie américaine à partir du Pont-Vert et est détruit à la hauteur du bois de Clérieux, à 150 mètres de la ferme Mestre. Cette famille a vu les deux conducteurs se sauver dans le bois. On peut encore voir des restes de cet engin, les chenilles et le cric, chez Messieurs MESTRE et RAVEL.

    Un autre épisode tragique arriva ce matin du 22 août. Le premier char allemand qui pénétra dans le village portait, hissé de force sur sa tourelle, un habitant du village, Marcel NEMOZ qui travaillait à la batteuse, quartier de Fontjulianne. Je ne sais pas pourquoi il s'est trouvé là. Vous imaginez ce pauvre homme dans cette posture au milieu de la fusillade. Bien sûr, les allemands l'ont laissé sur place avant de se replier et les maquisards l'ont attrapé car ils ont cru que c'était lui le traître qui avait vendu le mot de passe. Ils l'ont emmené derrière la ferme Gaveline et l'ont obligé à creuser sa tombe. Un proche voisin, Charles GALLIEN, attiré par les cris, est venu voir ce qui se passait. La famille GALLIEN était du côté de la Résistance depuis la première heure : les deux fils, Jean et Marcel sont au Maquis, l'un des deux est un prisonnier évadé.

    Charles GALLIEN, 58 ans, plaide la cause de NEMOZ qu'il connait bien car il l'emploie assez souvent sur sa ferme. Il connaît ses idées patriotiques, il sait qu'il a voulu se battre contre Franco et qu'il a été refoulé à la frontière espagnole, ce qui lui a valu le surnom de « Le Rebelle », très familier à Sauzet. Pendant cette explication, on découvre le vrai traître. Le Rebelle NEMOZ est définitivement sauvé. Mais il s'en est fallu de peu qu'on tue un innocent .... Toute sa vie, NEMOZ, passant près de cet endroit, n'oublia jamais de faire le signe de croix...

   Toute la journée du 22 a été faite de contradictions. Nous nous doutions fort que les allemands allaient revenir. Vers le soir, les officiers F.F.I., regardant la plaine avec leurs jumelles, nous ont indiqué que des chars méricains patrouillaient. Quelle erreur : il s'agit de blindés allemands.

    Un tir des positions alliées se déclenche vers le château Roussin et de là, les maquisards se replient vers Condillac et Marsanne. Une agent de liaison allemand en side-car sort de Sauzet et se trouve nez à nez avec une voiture du maquis. Des coups de feu sont échangés, les F.F.I, sautent de la voiture en marche qui va finir sa course dans le talus derrière une maison (aujourd'hui, propriété Millon). Les allemands font demi-tour. Un des premiers obus allemands éclate pas très loin de ma maison. Un F.F.I, va pour ramasser un éclat et il se brûle les doigts,.

    Des maquisards du coin, les fères GALLIEN, Joseph RIBAGNAC, Georges dit POYOL (le chauffeur de MONNIER qui avait été enrôlé avec le camion de son patron pour s'occuper du ravitaillement se replient vers Condillac et Marsanne (ils connaissent le secteur et c'est un avantage). Ce soir-là, les habitants de Sauzet ont quitté leurs maisons pour se réfugier à Condillac ou dans le ravin dit « Fontdavin », au nord de la maison Layes.

  Un abri dans le rocher protège une trentaine de personnes. Elles sont restées là du 22 au 28 août. Elles allaient chercher de l'eau à la source des fontaines du village qui se trouve aujourd'hui à côté de la villa Chaix. Entre la maison Layes et la maison Gaveline, une (ou plusieurs) compagnie de fantassins alliés a pris position : ils ont creusé des trous individuels qui sont encore visibles aujourd'hui. Les allemands tentent une première infiltration près de la ferme Gaveline. Ils sont refoulés par les alliés cachés dans ces trous. Un allemand est tué à bout portant en grimpant le talus. C'est visiblement un très jeune garçon. Il est enterré provisoirement derrière la ferme. Ils essaient aussi de passer sur la route de Marsanne au lieu-dit les Sablières, et plusieurs de leurs véhicules sont détruits.

L'infanterie américaine est là pour protéger l'artillerie qui se trouve à Condillac, à la Grand-Grange, à la ferme Granon et à la ferme Bertouin.

    Les alliés connaissaient les stratégies d'attaque des allemands, toujours dans les ravins. Dans cette prévision, ils étaient postés au nord de la ferme Layes. Les allemands attaquent à l'endroit prévu. Ils sont repoussés. Craignant de nouvelles infiltrations, les alliés mettent le feu à la montagne pour couper la progression des allemands. Vingt hectares environ brûlent. Quelques jours plus tard, j'ai moi même trouvé un Allemand mort, adossé à un pin.

    Les fantassins alliés ont ravitaillé les personnes qui se trouvaient dans le ravin pendant 6 jours. Il y eut certainement des soldats tués, car j'ai trouvé par la suite des pansements couverts de sang. Malgré tout, un commando allemand est parvenu à faire sauter une pièce d'artillerie américaine à côté de la Grand-Grange à Condillac. Pour cela, ils se sont sans doute infiltrés par Savasse.

    Un de ces six jours là, le père SIBOLDI, un ancien de la Guerre de 14-18 qui s'est battu en Italie contre les Autrichiens, se rend comme d'habitude, à son jardin, quartier du Moulin. A son grand étonnement, il voit un char allemand prendre position entre les maisons Couston et Carré sans se faire repérer par les forces américaines. Ce blindé ne se trouve pas très loin des positions alliées qui contrôlent la route de Marsanne vers Saint-Genix.

    Un calme très relatif règne. Sans affolement, son sac toujours l'épaule, notre jardinier part, en longeant le ruisseau de Saillac, avertir le plus vite possible le poste de commandement américain situé à la ferme Bertouin (à Condillac). Ce brave homme, Italien d'origine, a pu s'adresser à un officier américain qui connaît sa langue. Grâce à ces renseignements, le char allemand est localisé. En voulant s'échapper, il s'embourbe dans un terrain en cours d'irrigation où il est détruit. Ce glorieux Tigre de l'Armée du Reich finit quelques années plus tard, sous le chalumeau du ferrailleur NOIRET, un ancien du S.T.O. !.

    Le 25 ou le 26 août, un obus incendiaire est tombé près de ma maison, le vent du midi rabattait le feu vers le bâtiment et à cette saison on n'avait pas d'eau pour se protéger. La paille et une énorme pile de fagots ont brûlé mais par miracle le feu s'est arrêté à 5 mètres des murs !.

    Dans la nuit du 26 au 27, ma famille et moi nous étions comme depuis plusieurs nuits, réfugiés dans notre « borie », c'est à dire une petite grotte creusée dans la terre d'un grand talus. Nous étions là 17 personnes, petits ou grands, dont ma grand-mère infirme. Il y avait aussi nos 2 chiens, terrorisés par les bombardements, qui ne quittaient jamais nos jambes. Cette nuit-là, nous avons entendu des bruits de bottes presque au dessus de nos têtes. On s'est doutés qu'il s'agissait de soldats allemands qui allaient vers notre maison. Au petit jour ils nous ont découverts, ils nous tenaient en joue. Mon père est sorti le premier en levant les bras. Ils ont fait sortir tout le monde, pour voir s'il n'y avait pas de maquisards. Ils voulaient abattre nos chiens qui aboyaient, mais mon père a eu le cran de faire abaisser les fusils en faisant un geste ferme. Un des Allemands jette alors une pierre à un chien. Il manque le chien mais atteint une bouteille de liqueur d'arquebuse qui se trouvait là.

  Ensuite ces soldats se montrent corrects avec nous, ils sont très jeunes et nous font comprendre qu'ils ont des petits fières de l'âge de mes cousins. Après leur départ, nous avons vu qu'ils avaient passé la nuit dans notre maison, à fouiller les armoires nos quelques bijoux ont disparu. Ils ont aussi découvert des bouteilles d'eau de vie, à côté des bouteilles d'eau bénite. Ils ont dégusté sur place l'eau de vie, mais c'est l'eau bénite qu'ils ont emportée, par erreur. Cela nous a bien fait rire par la suite.

Ces soldats sont partis le soir même, dans un camion qui est venu les chercher en bas de la maison. Ils ne sont sans doute pas allés bien loin, vu l'intensité des combats, dans la Combe et à La Coucourde.

  Le 28 août au matin, les canons se sont tus et nous avons vu un nuage de poussière s'élever vers le ciel. Il annonçait l'arrivée imminente des renforts alliés, par Aleyrac, Rochefort, Puygiron et Montboucher, sur les routes défoncées par les chenilles en fer des blindés allemands. Dans les heures qui ont suivi, quelle joie de voir passer la colonne de fantassins alliés, suivis par les chars. Ils se dirigent vers La Coucourde.

 Ils font halte près de chez moi, pour se reposer à la maison Aubert, aujourd'hui Tarquini, près d'un point d'eau. Des vivres et des habits sont parachutés là : les soldats se changent, laissent leur linge sale et toutes les provisions en trop sur place, ce qui fait le bonheur des gens du coin.

    Les prisonniers allemands commencent à descendre vers Montélimar, en rangs par trois. La colonne s'étend de Micolline jusqu'au village de Saint Marcel. Je ne sais pas combien il pouvait y en avoir. Les Américains ne maltraitent pas les prisonniers, ils les laissent s'arrêter pour boire à la ferme Urdy. Le grand-père URDY reconnaît un soldat allemand qui n'avait pas été correct l'avant-veille. Il le prend par le bras et lève sa canne contre lui. Un Américain intervient et dit au pépé : « Prisonnier, papa, maman » : juste quelques mots pour appeler au respect.

    Ce soir là, un bataillon d'artillerie prend position au nord du village, prêt à tirer en cas de contre-attaque. Une heure avant la nuit, une pièce d'artillerie de gros calibre, située dans la plaine, à coté de la ferme Vigne (chemin de la Richarde), tire une cinquantaine d'obus sur des irréductibles dans le secteur de Loriol - Livron, là où la Drôme se jette dans le Rhône. Mais à Sauzet, pendant ce temps, nous respirons. Ces années de peur, de terreur sont terminées; nous sommes libres.

    Deux ou trois jours après la Libération, une messe est dite sur le perron du château Sestier car l'église était endommagée. Il y a beaucoup de monde. Le bilan humain est douloureux durant cette semaine tragique du 22 au 28 août. Outre les 8 maquisards tués, 5 personnes civiles sont mortes.

* le 22 août, aux premières heures, une fillette, Nicole BEC, en vacances chez son grand-père (le charron), s'est penchée à la terrasse pour voir ce qui se passait et elle a reçu une balle allemande en pleine tête. Transportée au plus vite à l'infirmerie de campagne américaine vers Crest, elle ne put être sauvée.

* Madame GONTARD, sa fille, et Madame Germaine TAUPENAS  furent tuées par des éclats d'obus dans le village.

* Madame BLACHE, (grand-mère de Jean CHAMBON), une vieille dame très perturbée par tous ces évènements, alla s'égarer à la cime de la montagne de Sauzet et là, fut tuée par un éclat d'obus. C'est un vieux chasseur, Monsieur PASCALIN, fuyant Savasse vers Marsanne, qui découvrit cette femme agonisante et en informa le village.

Monsieur Louis JACQUIER, mon père et quelques autres hommes allèrent chercher le corps.

Quelques jours plus tard, on déplorera encore la mort d'un habitant de Sauzet. Voici dans quelles circonstances :

Les F.F.I. qui allaient être libérés dans les prochains jours étaient affectés au ramassage des munitions abandonnées par l'occupant. Le 15 septembre 1944, sur l'Hippodrome de Montélimar, une tragédie se produit : au bout du chemin qu'il empruntait depuis 15 jours sans encombres, le camion chargé de ces engins de mort explose en arrivant au dépôt, qui était non surveillé.

Cinq F.F.I. et quatre prisonniers allemands désignés pour ce travail sont morts décapités.

Les victimes françaises sont :

* un militaire de carrière, le chef artificier CHAMPROUX qui laisse une femme et  trois orphelins,

* Georges IMBERT, 18 ans, le jeune de Sauzet,

* Gustave PINET, 22 ans, le frère de ma future femme, de Montboucher,

* Lucien TARDIEU, de Montélimar,

* un jeune CHALANCON, 22 ans, de Montélimar.